Depuis plus de trente ans, je passe la première semaine d’août dans une petite maison de vacances au bord de l’étang de Thau (34). Cette année sa propriétaire, appelons-là Peggy, a retrouvé sa maison vandalisée après avoir été vraisemblablement squattée : portes fracturées, vitres brisées, table brûlée par du charbon de chicha, meubles défenestrés, déco arrachée…
Extraits de ce qui s’en est suivi :
L’assurance : « on vous envoie un vitrier » (qui est effectivement arrivé très rapidement).
Le vitrier, sur place : « trop de dégâts, il faut faire passer un expert »
L’expert (joint par téléphone) : « faites-nous un mail avec photos des dégâts. On vous enverra un lien pour la prise de rendez-vous.
Rappel téléphonique de Peggy :
Réponse de l’expert « faites nous un mail avec des photos… », vous allez bien trouver quelqu’un qui sait faire un mail…
Puis plus de nouvelles.
Peggy a 92 ans mais n’a jamais pris le virage d’internet. Pas d’ordinateur, pas de wifi, un smartphone, mais dont elle ne se sert quasiment pas. Plus par choix : ancienne enseignante en sciences, elle n’aurait eu aucun mal à s’y mettre comme ma tante Cécile de 90 ans qui s’y est mise, elle, avec ses petits-enfants.
Pas de bol, Peggy souffre d’« #illectronisme ».
Elle vit seule, pas d’enfant, ni de nièces, ni de neveux. Plus de mari. Des amis sur place l’ont aidée, mais se heurtent à la procédure. « Vous êtes son tuteur ? Il nous faut une attestation, nous ne répondons qu’à l’assuré, or ce n’est pas le numéro qui est enregistré (SIC)… »
Peggy n’a pas besoin de tuteur, elle est totalement autonome. Elle aimerait juste pouvoir expliquer elle-même ses problèmes, au téléphone ou par courrier, voir quelqu’un. C’est ça ; parler à quelqu’un assis en face d’elle, être rassurée. La moindre des choses que l’on peut attendre de la part d’un assureur c’est bien d’être rassuré, non ?
Et surtout elle souhaiterait que ce soit réparé au plus tôt. Car ces dernières semaines il a beaucoup plu, il a fait froid. Six longues semaines après avoir découvert le désastre, toujours pas d’expert, toujours pas de vitrier. On a calfeutré comme on a pu, et même allumé un feu dans la cheminée. Le Mistral est souvent gagnant en Occitanie.
La digitalisation à outrance fait des doubles victimes.
Que des petits (ou grands) cons vandales oublient qu’ils ont des mamans et des grand-mères voire arrière grand-mères (qui pourtant souvent les chérissent), c’est dans l’ordre des choses.
Mais que nos assurances ne gardent pas des procédures adaptées pour régler les sinistres en s’abstenant de faire appel à un traitement full numérique pour leurs clients aînés et illectronisés, c’est moins compréhensible. Nos assureurs n’ont-ils pas de maman, de grand-mères, d’arrière-grand-mères ?
Peggy fait donc partie de cette population « touchée » par l’illectronisme que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de tabou et qui toucherait 13 millions de personnes, donc d’assurés, en France.
L’embauche de 4.000 conseillers numériques qui devraient être recrutés, formés et déployés dans des collectivités locales ou des associations pour être mis notamment au service des personnes âgées ne changera pas grand-chose. Plusieurs millions d’assurés sont et resteront en dehors du process full digital. Et c’est pour le moins paradoxal : les adhérents les plus fidèles, ceux qui ont le plus cotisé leur vie durant, sont aujourd’hui les moins bien traités lors d’un sinistre.
L’isolement « CRM » et le stress imposé aux personnes âgées qui ont simplement fait le choix de s’intéresser à autre chose qu’à Internet pourrait être très facilement évité. Il suffit de mettre en place un « CRM » identique à celui qu’elles ont connu leur vie durant. A l’heure de l’hyper personnalisation dans la digitalisation des process, 17% du portefeuille d’assurés, voire plus quand il s’agit de certaines mutuelles comme la #MAIF, ne mériteraient-ils pas une relation client personnalisée anti-digitale ?
« La planète vieillit et nous regardons ailleurs » écrivait Dominique Boulbès auteur de La Silver économie en paraphrasant Jacques Chirac à propos de l’environnement. Il y a effectivement bien plus de gens qui vieillissent que de gens qui rajeunissent…me permettrais-je de rajouter.
Nos responsables CRM, webmaster, directions de clientèle, administrateurs, que ce soit en IARD ou en assurance de personnes, devraient de temps en temps passer des vacances avec leurs parents et grands-parents et s’interroger sur ce que feraient ces derniers s’ils se trouvaient, seuls, dans la situation de Peggy.
Et puis, 17% des assurés en France… c’est un marché non négligeable, n’est-ce pas ?